Le groupe de chercheurs, réuni par Emmanuel Macron pour analyser le rôle de la France dans le génocide au Rwanda, a rendu son rapport au président de la République vendredi
C’est un rapport historique. Dans ce texte remis vendredi 26 mars au président de la République, des chercheurs français pointent les « responsabilités lourdes et accablantes » de Paris, qui s’est massivement impliquée au Rwanda à partir des années 90, et « alignée » sur le régime hutu du pays, dans le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994.
Les conclusions de ce rapport, remis au président Emmanuel Macron, et consultées par l’AFP, pointent « la faillite de la France au Rwanda », soulignant cependant que « rien ne vient démontrer » qu’elle s’est rendue « complice » du génocide qui a fait au moins 800 000 morts selon l’ONU. La commission présidée par l’historien Vincent Duclert a été mise en place en 2019 par Emmanuel Macron.
Le rôle central de Mitterrand
Le rôle de François Mitterrand, alors président de la République, est particulièrement pointé du doigt. « La France s’est longuement investie au côté d’un régime qui encourageait des massacres racistes. Elle est demeurée aveugle face à la préparation » du génocide, et « cet alignement sur le pouvoir rwandais procède d’une volonté du chef de l’Etat et de la présidence de la République ».
Cette relation, doublée « d’une grille de lecture ethniciste » de la situation au Rwanda, a justifié « la livraison en quantités considérables d’armes et de munitions au régime d’Habyarimana, tout comme l’implication très grande des militaires français dans la formation des Forces armées rwandaises » gouvernementales.
Au moment du génocide, la France « a tardé à rompre avec les responsables, et a continué à placer la menace du FPR (Front patriotique rwandais, l’ex rébellion tutsi qui mit fin au génocide) au sommet de ses préoccupations », écrivent les historiens. « Elle a réagi tardivement » avec l’opération militaro-humanitaire Turquoise entre juin et août 1994, « qui a permis de sauver de nombreuses vies, mais non celles de la très grande majorité des Tutsi du Rwanda exterminés dès les premières semaines du génocide », ajoutent-ils.
“À l’inquiétude de ministres, de parlementaires, de hauts fonctionnaires, d’intellectuels, il n’est répondu que l’indifférence, le rejet ou la mauvaise foi, les auteurs du rapport”
La commission a choisi de suivre une ligne chronologique pour expliquer « la défaite de la pensée » que fut la politique française au Rwanda. Dans la première période (1990 à 1993), celle de l’opération « Noroît » et de l’engagement militaire français, se posent les bases de l’échec. L’idée est alors, selon la commission, « que le Rwanda a été agressé militairement par le FPR » où l’on voit, non pas une rébellion rwandaise à majorité de Tutsis, mais « un groupe ougando-tutsi (…) », voire « que son action s’inscrit sans un contexte géopolitique plus vaste encore ». Autrement dit : le péril anglo-saxon. Malgré les massacres, la France va justifier par cette idéologie « la livraison, en quantités considérables, d’armes et de munitions » et « l’implication très grande des militaires français dans la formation des forces armées rwandaises » parfois « en urgence ».
La seconde période (1993-1994) porte sur le désengagement français, qui ne change cependant pas la nature de l’analyse alors faite du conflit. La troisième période (1994) suit l’assassinat du président Habyarimana le 6 avril et le déclenchement du génocide. La France reconnaît certes assez vite l’existence d’un génocide mais ne change pas réellement de politique pour autant, affirme le rapport. « L’emploi du terme génocide n’entraîne pas cependant une remise en cause fondamentale de la politique de la France qui demeure obsédée par la menace du FPR et n’abandonne jamais la condamnation “équilibrée” des massacres commis par les deux camps. » Signe de cet « aveuglement continu », la France persiste même alors à imaginer « une négociation qui permettrait un partage d’un pouvoir entre le FPR et ce qui peut rester du régime ».
La commission analyse aussi les ressorts de l’opération «Turquoise», une intervention militaro-humanitaire lancée par Paris, sous mandat de l’ONU entre juin et août 1994. Ses détracteurs estiment qu’elle visait en réalité à soutenir le gouvernement génocidaire hutu quand Paris vantait alors une volonté de mettre fin aux massacres. Le rapport met en lumière que la vision très hostile au FPR a prévalu aussi dans « Turquoise » mais « l’effort de protection des Tutsis est réel ».
La commission analyse surtout les raisons « la lecture ethniciste du Rwanda », de la « défaillance » de l’appareil étatique qui a conduit à la défaite. « Un élément surplombe cette politique : le positionnement du président de la République, François Mitterrand, qui entretient une relation forte et directe avec le chef de l’État rwandais. Cette relation éclaire la grande implication de tous les services de l’Élysée. » « À l’inquiétude de ministres, de parlementaires, de hauts fonctionnaires, d’intellectuels, il n’est répondu que l’indifférence, le rejet ou la mauvaise foi », assurent les chercheurs.
Ce rapport va-t-il suffire pour apaiser les tensions entre la France et le Rwanda ? « Il va falloir des jours voire des semaines pour en tirer de véritables conclusions », assure un spécialiste du Rwanda qui préfère « pour l’instant » rester dans l’ombre. Le président Emmanuel Macron espère pouvoir relancer les relations avec Kigali, qui, souligne-t-on à l’Élysée, « a été tenu au courant étape par étape ».
Emmanuel Macron a d’ailleurs annoncé qu’il devrait se rendre, sans doute en mai, au Rwanda.
Avec AFP