Françafrique: Nicolas Sarkozy a haussé le ton, menaçant Laurent Gbagbo« Il ne fallait pas que le Conseil constitutionnel fasse ça, non, non, il ne fallait pas! »

Nous vous proposons les « bonnes feuilles » du livre co-écrit par le président Gbagbo et le journaliste François Mattei. Dans cet extrait, il est question des évènements autour de l’investiture de décembre 2010 commentée par Laurent Gbagbo.

(..) Tout y est, difficilement concevable comme émanant d’un assassin, même si certains ne connaissent que la contrefaçon :

J’ai prêté serment le samedi 4 décembre 2010, au Palais, après que le Conseil constitutionnel eut statué sur les recours que nous avions déposés à la suite des fraudes massives constatées dans le Nord du pays et après qu’il eut pris acte de l’incapacité dans laquelle se trouvait la Commission électorale indépendante de se prononcer dans le délai qui lui était imparti.

La veille, le vendredi 3, j’ai compris que tout pouvait se terminer très mal. Le Conseil constitutionnel venait de proclamer les résultats, et me désigner comme vainqueur de l’élection. J’ai reçu le jour même un coup de fil de Sarko. Il était furieux : « Il ne fallait pas que le Conseil constitutionnel fasse ça, non, non, il ne fallait pas! » C’est la démarche d’un fou, pas celle d’un chef d’État. Comment peut-on se permettre aujourd’hui, au XXIe siècle, d’appeler un autre chef d’État pour lui dire une chose pareille? C’est à ce moment précis, quand j’ai raccroché, que j’ai eu le sentiment que tout pouvait déraper. Je sais que les institutions des pays africains, ils s’en fichent ! Il ne s’agit après tout que de mettre leur homme sur le trône… mais s’asseoir sur le Conseil constitutionnel d’un pays souverain, dont la Constitution est calquée sur celle de la France, avec autant de culot, comme ça, par téléphone, c’est une mauvaise blague. Ce n’est pas un chef d’État que j’ai eu au téléphone…

Le samedi, juste avant mon départ pour le Palais, où doit se dérouler la prestation de serment devant le Conseil constitutionnel, mon chef du protocole vient me dire qu’un message nous est parvenu indiquant que Nicolas Sarkozy a demandé que l’on s’oppose physiquement à cette investiture. J’ai décidé d’y aller quand même. Il agit comme voyou, me suis-je dit, je n’ai pas à en tenir compte. C’était du bluff, ou un avertissement…

Le lundi 6 décembre, nous avons formé le gouvernement, un gouvernement de technocrates, et nous avons commencé à travailler.

La France nous avait coupé les robinets de la BCEAO, en espérant que nous ne pourrions pas payer les salaires des fonctionnaires et honorer les factures de l’État, ce qui aurait eu pour effet de dresser la population contre nous. Sarkozy m’a intimé l’ordre de partir dans un discours fait à Bruxelles, sur un ton plus proche de casse-toi de là, pauvre c., que dans le langage maîtrisé d’un chef d’État.

Mais à la fin du mois, à partir du 22 décembre, nous avons payé tous les salaires, idem en janvier. Ils ont compris qu’ils ne nous auraient pas comme ça…

Et on me le reproche aujourd’hui…! parce que j’ai continué à faire mon travail, et à payer les fonctionnaires. Même motif, même punition pour les mesures que j’ai prises dans le souci du maintien de l’ordre. J’ai utilisé un décret qui existe depuis 1961, et qui permet d’ouvrir la possibilité, ce n’est pas une fatalité, de mettre en état d’alerte les forces de maintien de l’ordre si la situation est telle que des incidents sont à craindre. Bref, je faisais mon métier pour assurer la sécurité de l’État et des populations, je gouvernais. C’est cela, qu’on veut faire passer pour un plan criminel… Les rebelles avaient introduit des commandos armés au cœur d’Abidjan, toute une armée. Ils devaient faire leur jonction avec les centaines de soldats rebelles, des mercenaires burkinabés pour la plupart qui étaient cantonnés à l’Hôtel du Golf, un vaste complexe situé au bord de la lagune, où se trouvaient depuis septembre, les Ouattara et les chefs rebelles.

Dès le début du mois de décembre 2010, les attaques contre la population et les forces de l’ordre ont commencé à Abidjan jusqu’à ce que la stratégie de prise de pouvoir violente par Alassane Ouattara et ses soutiens soit révélée lors de l’attaque générale et concertée, lancée dans tout Abidjan le 16 décembre 2010.

Les hommes politiques de mon parti, de mon gouvernement, mon fils même, et beaucoup d’autres, sont poursuivis en justice, et ont été emprisonnés, pour « atteinte à la Défense nationale, attentat ou complot contre l’autorité de l’État, constitution de bandes armées, direction ou participation à une bande armée, participation à un mouvement insurrectionnel, atteinte à l’ordre public, coalition de fonctionnaires, rébellion, usurpation de fonction, tribalisme et xénophobie ». Rien que ça… Ce serait seulement grotesque si cela n’entraînait pas autant de souffrances, de privations de libertés, tant d’injustices. Nous, on nous pourchasse, on nous fait passer pour des criminels. C’est le monde à l’envers.

Il y en a eu des morts, beaucoup de morts, il y a eu tant de morts. N’est-ce pas indigne de vouloir me les attribuer alors que je n’ai cessé de prôner la réconciliation? Je craignais tellement que le pays soit définitivement coupé en deux, j’étais tellement préoccupé par le fait que la situation pouvait conduire à des tensions profondes et définitives entre Ivoiriens, que j’ai tout fait pour parvenir à une solution pacifique. J’ai accepté tous les compromis. Je l’ai souvent dit, je n’ai jamais eu d’arme, je n’aime pas les armes, je n’aime pas la guerre, je n’ai jamais fait de coup d’État… J’ai écrit des livres, Pour une alternative démocratique, Agir pour les libertés, et quelques autres. J’ai proposé aux juges de La Haye de les leur faire porter, car c’est dans ces livres que l’on peut me connaître, savoir qui je suis, quel est le sens de ma vie… J’ai toujours entendu sur mon compte des commentaires contradictoires : certains de mes amis m’ont reproché de ne pas être assez dur, et de composer, même avec les adversaires. Mais parler à tout le monde, c’est cela la politique !

Par ailleurs, mes adversaires, eux, prétendent que je serais un dictateur. Toute ma vie j’ai lutté pour la démocratie. J’ai passé des mois en prison et des années en exil du fait de ma lutte pour la démocratie. J’ai refusé le système du parti unique parce que je pensais que l’avenir de l’Afrique ne pouvait s’organiser que dans un cadre démocratique. Lorsque j’étais en exil en France, j’ai refusé les propositions d’Houphouët-Boigny qui cherchait à me récupérer. J’ai toujours joué le jeu des élections, j’ai toujours cru en la volonté populaire. Et finalement, c’est cela que l’on me reproche : être le porte-parole du peuple. Donner voix au peuple de Côte d’Ivoire. Combien sont-ils les dirigeants africains qui représentent le peuple? Ils se comptent sur les doigts d’une main. Qui a permis à chaque sensibilité de s’exprimer?

Qui a permis aux partis rebelles d’exister sur la scène politique ivoirienne? Qui a intégré les rebelles au gouvernement et à l’armée? Qui a organisé les élections? Qui a permis que Ouattara et Bédié s’y présentent, alors même qu’ils ne remplissaient pas les critères constitutionnels ? Qui a fait en sorte que tous les candidats disposent des mêmes temps de parole et des mêmes moyens? Il me semble que j’ai toujours agi comme un véritable homme politique, soucieux du bien-être de ses concitoyens, soucieux de laisser le débat démocratique s’installer, à l’écoute des autres. Loin, très loin de ces technocrates sans âme et sans structure morale qui constituent désormais le personnel politique de votre Ve République.

Pour revenir aux grandes manœuvres d’étouffement économique, en 2011, j’ai décidé de couper les ponts avec le siège de la BCEAO, à Dakar. La technique du boa constrictor pour nous étouffer était mise en œuvre par le patron du Trésor à Paris. [Rémy Rioux, sous-directeur aux Affaires internationales, et représentant de la France au sein de la BCEAO.]

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