Sénégal : cette vaccination contre le Covid-19 qui ne va pas de soi

Lancée depuis le 23 février dernier dans tout le Sénégal, la campagne de vaccination contre le Covid-19 est loin d’entraîner l’adhésion de toute la population. De nombreux Sénégalais restent sceptiques vis-à-vis du vaccin, notamment de l’AstraZeneca, par crainte de ses possibles effets secondaires. Malgré la possibilité offerte à tous de se faire vacciner gratuitement, seules 360 000 personnes environ ont été vaccinées dans le pays pour une population globale de 17 millions d’habitants.

Rapidement, la cible des vaccinations a été élargie

Dans un premier temps réservé au personnel de santé et aux personnes âgées présentant des comorbidités, soit 3 % de la population, les séances de vaccination contre le Covid-19 ont rapidement été proposées à toute la population. « Les cibles prioritaires ne se présentant pas toujours, nous avons élargi et permis à toute la population de se faire vacciner gratuitement et sans rendez-vous au sein des structures de santé », explique le Dr Ousseynou Badiane, coordonnateur du programme élargi de vaccination. Une plateforme d’inscription en ligne a ainsi été mise en place pour fixer des rendez-vous aux personnes désirant se faire vacciner. Le pays s’était d’abord doté du vaccin chinois Sinopharm avec l’acquisition de 200 000 doses. À celles-ci, dont 20 000 doses ont été distribuées à la Guinée-Bissau et à la Gambie, se sont ensuite ajoutées les 300 000 doses du vaccin anglo-suédois AstraZeneca, via l’initiative internationale Covax qui permet aux pays en développement d’avoir accès à la vaccination.

Baisse de garde avec l’allégement des mesures?

Mais malgré la campagne de vaccination lancée par le gouvernement auprès de la population, celle-ci semble partagée entre scepticisme et volonté de se protéger du virus. La jeunesse de la population (l’âge moyen du pays est de 19 ans) et la levée des mesures contre le Covid telles que le couvre-feu ou l’interdiction de rassemblement donnent l’illusion que la crise sanitaire est passée et encouragent peu à la vaccination. Sur 17 millions d’habitants, environ 360 000 personnes seulement se sont actuellement fait vacciner au Sénégal.

« J’ai entendu des rumeurs sur un ?vieux? qui, après avoir reçu le vaccin,aurait fait un AVC (accident vasculaire cérébral) », rapporte Aziz, serveur dans un restaurant dakarois. Peu confiant, il ne souhaite pas se faire vacciner. Le jeune homme de 25 ans indique aussi le cas de cet ami qui, à la suite de l’administration du vaccin, aurait développé des allergies. « Il ne fait que se gratter depuis. »

À son image, beaucoup de Sénégalais, comme de nombreux citoyens à travers le monde, s’interrogent sur les vaccins administrés et leurs répercussions sur la santé. Et celui qui concentre les inquiétudes se nomme AstraZeneca.

« L’AstraZeneca a particulièrement été impacté par ces suspicions d’effets secondaires et l’arrêt dans les pays européens a freiné les ardeurs de certains. Il n’est pas rare que des personnes refusent ce vaccin actuellement », indique le coordonnateur du programme de vaccination.

En effet, la suspension de l’AstraZeneca par plusieurs pays européens par mesure de précaution à la suite de l’apparition, quelques jours après vaccination, de caillots sanguins, a amplifié les doutes. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il n’y aurait aucune raison de le rejeter, le lien de cause à effet n’étant pas prouvé et l’apparition de caillots sanguins étant fréquents chez les personnes de plus de 60 ans (la majorité des personnes ayant reçu le vaccin en Europe). Sur les 5 millions de personnes vaccinées dans le monde, seuls 30 cas de caillots sanguins auraient été répertoriés.

Mais malgré les tentatives de l’OMS pour rassurer ainsi que celles du président Macky Sall qui a récemment appelé à « ne pas laisser la passion prendre le dessus » et l’importance « d’écouter les experts médicaux », les craintes perdurent. À Touba (194 km à l’est de Dakar), le rejet de la vaccination à l’AstraZeneca est flagrant. D’après le quotidien national Le Soleil, sur les 8 000 vaccins distribués par le gouvernement sénégalais, 7 000 vaccins risquent d’être perdus faute d’être administrés. « Je peux comprendre les craintes des gens », développe Abdou, interne en médecine générale qui a été vacciné le 5 mars avec le vaccin Sinopharm. « Ils ont peur des effets secondaires sur le long terme. C’est la première fois qu’on crée un vaccin en moins d’un an, donc on ne peut pas être sûr de ce qui nous attend », argumente celui qui a fait sa thèse sur le Covid et la vaccination. Mais il insiste aussi sur le fait que « se vacciner, c’est la seule option pour éviter les formes graves de la maladie. Avec mon métier, c’est essentiel que je sois vacciné pour éviter la transmission aux patients, mais aussi à ma famille », tout en rappelant cependant que « la vaccination doit être un choix personnel ».

Théorie du complot et fake news?

Comme au début de la pandémie, les théories du complot ont circulé via les réseaux sociaux, entamant un peu plus la confiance des citoyens envers les vaccins. « Avant même l’arrivée du vaccin contre le Covid, les craintes concernant la vaccination de manière générale sont courantes dans le pays et sur le continent africain, et de nombreuses fake news se sont propagées. Parmi elles, l’idée que le vaccin serait utilisé par l’Occident pour réduire la fertilité des Africains, ou bien la crainte d’une manipulation génétique avec l’implantation de puces électroniques dans le corps, ou encore le fait que nous soyons utilisés comme cobayes », détaille le Dr Badiane. Le fait que certains médecins refusent de se faire vacciner a aussi créé la suspicion au sein de la population. « Des médecins ont refusé, car ils étaient persuadés que le vaccin n’était que le résultat d’une guerre entre laboratoires pharmaceutiques pour vendre rapidement un vaccin qui allait rapporter des millions, tout cela sans que les règles pour le produire ne soient bien respectées », ajoute Abdou.

Si les fakes news et autres théories du complot ne sont pas des nouveautés, elles se trouvent renforcées par un manque de données claires au sujet du vaccin ou à l’inverse un trop-plein d’informations parfois contradictoires. « Je trouve qu’on est peu informé, c’est trop brouillon », avance Awa, comédienne de 36 ans. « Au début, j’étais très partagée sur la question du vaccin. J’avais peur de me faire vacciner, un ami médecin m’avait parlé des effets secondaires, donc j’avais beaucoup de craintes par rapport à l’AstraZeneca. Puis il m’a rassurée en me disant que je ne risquais rien », raconte-t-elle. Malgré ses inquiétudes qui demeurent, elle s’est inscrite sur la plateforme pour prendre un rendez-vous. Mais depuis un mois, elle n’a reçu aucun appel pour être convoquée. « Je pense y aller moi-même dans les prochains jours », a-t-elle finalement décidé, convaincue que cette option reste « la meilleure pour préserver mes proches et continuer à faire mon travail ». D’autres comme Innocence, femme de ménage de 50 ans, cherche des réponses à leurs interrogations. « Je pense que nous devons nous protéger, mais j’ai des doutes : est-ce que ce vaccin protège vraiment et totalement ? Quel est le vaccin le plus sûr ? J’aimerais plus de détails avant de me faire vacciner ! » soulève la Dakaroise.

En cachette

À défaut d’avoir encore tous les retours à ses questions, Innocence sait d’ores et déjà que si elle se fait vacciner, elle ne le dira à personne, hormis ses enfants. « Beaucoup de Sénégalais parlent de façon négative du vaccin, ils disent que ce n’est pas bon. Je n’ai pas envie de l’ébruiter pour ne pas être embêtée, qu’on me dise que je n’aurais pas dû », avoue-t-elle. Les enfants de Ndiaye Diop ont découvert après coup que leur père s’était fait vacciner. Le retraité de 74 ans, après avoir hésité à se faire vacciner, s’était finalement inscrit sur la plateforme du ministère de la Santé et de l’Action sociale. Faute d’avoir été appelé, il a sauté sur l’occasion quand il a entendu que la vaccination était possible dans l’hôpital situé dans son quartier de Dakar. « Je me suis fait vacciner le 12 mars avec l’AstraZeneca. Au départ, je ne le souhaitais pas mais j’ai eu de bons retours. Et puis quand je me suis fait vacciner, un médecin le faisait lui aussi à côté de moi. Donc si lui le fait, moi aussi je peux ! » blague-t-il. S’il n’a rien dit à ses enfants, c’est parce que ces derniers l’auraient dissuadé. C’est d’ailleurs le cas pour sa femme à qui les enfants conseillent d’attendre encore un peu.

Malgré les réticences, les stocks s’écoulent malgré tout surtout dans les régions de Dakar, Thiès, Saint-Louis, où la demande est importante. Cela en raison de l’importante densité de ces villes, mais aussi en raison d’« une perception différente et de plus de connaissances sur la maladie qu’en région », souligne le Dr Badiane. Dans les prochains mois, le Sénégal devrait également se doter de nouveaux vaccins avec l?acquisition de l?américain Johnson & Johnson ainsi que du russe, Spoutnik V.

Avec le Point

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