France: La loi Taubira reconnaissant l’esclavage comme un crime contre l’humanité fête ses 20 ans: les victimes de l’esclavage ne sont toujours pas dédommagées financièrement

La loi Taubira a vingt ans ce lundi 10 mai 2021. Unique en son genre à l’époque de son adoption en 2001, elle est la première à reconnaître l’esclavage et la traite comme crime contre l’humanité. Sa promulgation bouleverse la politique mémorielle de la France, et davantage : les Nations unies reconnaissent elles aussi l’esclavage comme crime contre l’humanité en 2001, suivies par le Parlement européen en 2020.

Tout commence en 1998. En écho au programme « La route de l’esclave » organisé par l’Unesco, le gouvernement de cohabitation, dirigé par le Premier ministre socialiste Lionel Jospin, décide de célébrer plus largement que d’ordinaire le 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage.

Pour préparer la cérémonie, une mission interministérielle est confiée à l’écrivain antillais Daniel Maximin, un des tenants de « l’antillité », courant qui célèbre la richesse et la résilience des sociétés et des cultures nées de l’esclavage. Un choix en accord avec la vision du gouvernement, qui veut mettre l’accent sur la reconnaissance des luttes anti esclavagistes et sur l’apport créatif et culturel des sociétés ultra-marines. Mais cette vision ne fait pas consensus.

Si la réparation « politique et mémorielle » a gagné du terrain en France, l’ex-ministre de la Justice juge que seule une « parole politique courageuse » pourra faire avancer le débat sur la question de la réparation matérielle. Explications.

Le chef de l’État va célébrer ce lundi la journée de mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions avec une cérémonie dans le jardin du Luxembourg en compagnie de plusieurs ministres. Ce 10 mai met aussi en évidence le 20e anniversaire de la loi Taubira…

Une loi « historique »

En 2001, Christiane Taubira, alors députée, fait reconnaître l’esclavage comme crime contre l’humanité, et fait entrer la mémoire de la traite et de l’esclavage dans le récit national, prenant en compte les victimes et les responsabilités des crimes commis par l’État.

Vingt ans après, la relation à cette période de l’histoire continue de diviser l’opinion, comme le laissent apparaître les récents échanges sur la commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon (qui a rétabli l’esclavage)… ou sur la place des statues dans l’espace public. Ce lundi, le tribunal correctionnel de Paris juge d’ailleurs Franco Lollia, militant guadeloupéen interpellé en juin dernier après avoir vandalisé la statue de Colbert, l’auteur, en 1685, du Code noir esclavagiste.

Quelle a été la portée de cette loi ?

Qualifié d’historique, le texte a fondé l’obligation de concéder « la place conséquente » que la traite négrière et l’esclavage méritent dans les programmes scolaires et de recherche. Depuis 2001, les programmes ont ainsi été étoffés, la Fondation pour la mémoire de l’esclavage et le Mémorial ACTe (Centre caribéen d’expressions et de mémoire de la traite et de l’esclavage) ont été inaugurés à Paris et à Pointe-à-Pitre et le 10 mai a été baptisé journée nationale de commémoration des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leur abolition.

« Toutes ces choses participent de la réparation morale et symbolique », souligne Myriam Cottias, directrice de recherche au CNRS et coordinatrice du projet « Repairs » consacré à la question des réparations et des indemnités au titre de l’esclavage.

Les victimes de l’esclavage ont-elles été dédommagées ?

Si la réparation « politique et mémorielle » a gagné du terrain en France, le volet financier demeure aux oubliettes. Lors de l’abolition définitive de l’esclavage en 1848 en France, la réparation financière n’est octroyée qu’aux propriétaires d’esclaves seulement, indemnisés au titre du préjudice subi. Dans le cadre du projet « Repairs » du CNRS, une base de données a d’ailleurs été créée et recense ces indemnités versées. Par contre les 250 000 esclaves que comptait l’Empire colonial à la veille du décret d’abolition n’ont rien perçu.

La question demeure complexe. Comment identifier les descendants d’esclaves ? Qui serait éligible à ces réparations financières ? Quelle forme prendraient-elles ? Et quel mode de calcul retenir ? « Ce débat est interminable parce que le crime en soi est irréparable, que personne ne peut ramener les vies perdues ni rembourser les générations de travail gratuit », a estimé dimanche l’ancienne ministre de la Justice Christiane Taubira dans un entretien à l’AFP. « [Pour ouvrir ce débat en France], il faut une parole politique courageuse, intelligente, subtile (…) qui ait le courage de faire face à l’Histoire », a-t-elle ajouté.

Des divergences au sein des associations

Problématique juridique et généalogique, la question est même l’occasion de désaccord dans les rangs des associations et descendants d’esclaves. D’un côté, le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) intensifie le nombre de procédures judiciaires ces dernières années. De l’autre, le Comité de la marche du 23 mai 1998 et d’autres associations de descendants d’esclaves pensent que les « souffrances de leurs aïeux » ne sont en aucun cas « monnayables ».

La classe politique parle et agit avec la plus grande prudence et s’en tient pour la quasi-majorité aux propos du poète martiniquais Aimé Césaire selon lequel « il n’y a pas de réparation possible pour quelque chose d’irréparable et qui n’est pas quantifiable ». « La seule dette qui doit être réglée » aux descendants d’esclaves « c’est de faire avancer l’humanité », soulignait ainsi en 2015 le président d’alors François Hollande.

Quelle est la position officielle du chef de l’État Français ?

Emmanuel Macron ne s’est pas manifesté officiellement sur la question de la réparation matérielle, préférant souligner le volet mémoriel du débat. Le Président a notamment promis la création d’un mémorial national aux Tuileries pour rendre hommage aux victimes de l’esclavage.

Ce projet, qui devait voir le jour en 2021, a toutefois été remis à plus tard en raison de mésententes sur le choix des artistes sélectionnés.

Avec DNA,/RFI / AFP

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