En catimini, la France prend ses distances avec la Centrafrique

Bangui, République centrafricaine, vendredi, 4 juin 2021 ( Corbeaunews-Centrafrique). Ces derniers jours, des coopérants français déployés en République centrafricaine (RCA), parmi lesquels des militaires, ont pris l’avion en direction de Paris pour un vol sans retour. Emmanuel Macron a également décidé de geler l’appui budgétaire direct à la RCA, qui fut longtemps considérée comme un des fiefs de la «Françafrique» et s’est rapprochée de Moscou.

Les relations entre Emmanuel Macron et son homologue centrafricain, Faustin-Archange Touadéra, réélu en décembre 2020 à l’issue d’un scrutin contesté, se sont tendues au fil des mois. Elles ont atteint un point de non-retour en avril, lors d’un entretien téléphonique orageux.

Après en avoir parlé avec ses ministres de la défense et des affaires étrangères en Conseil de défense, Macron a pris une décision grave (et rare): il a décidé de geler l’appui budgétaire direct à la RCA, un des pays les plus pauvres du monde (classé à la 188e et avant- dernière position à l’indice de développement humain) et de suspendre la coopération militaire entre les deux États, alors que de nombreux groupes armés menacent le régime. «C’est la conséquence de la dérive de Touadéra», justifie-t-on à l’Élysée.

L’entourage du président français avance deux explications. La première est politique. Après sa réélection, Touadéra s’était engagé auprès de ses partenaires européens à dialoguer avec l’opposition non armée. Non seulement il n’a rien fait en ce sens, mais il a envoyé «tous les signaux contraires», indique un diplomate français. Aujourd’hui, la plupart des opposants sont, selon ses mots, «séquestrés à Bangui».

Le pouvoir leur a confisqué leur passeport et interdit de quitter le pays. Le 24mars, l’un d’eux, Anicet-Georges Dologuélé, a été empêché d’embarquer sur le vol Air France à destination de Paris. Raison invoquée par les autorités: il fait l’objet d’une enquête judiciaire sur de possibles liens avec des rebelles. Avant lui, d’autres avaient subi le même sort, dont Catherine Samba-Panza, l’ancienne présidente de la transition (2014-2016).

Mais une autre raison explique cette rupture: la campagne médiatique très violemment antifrançaise qui fait rage à Bangui depuis quelques années. Pour la France, il n’y a aucun doute: ce sont des hommes directement liés à Touadéra – des collaborateurs au sein de la présidence mais aussi des membres de sa famille – qui l’orchestrent. Le premier ministre Firmin Ngrebada et le président de l’Assemblée nationale Simplice Sarandji sont notamment considérés comme les principaux responsables de la dégradation des relations entre la présidence et la France. Contactés par Mediapart, ni l’un ni l’autre n’ont répondu.

Un soldat de la Minusca, un paramilitaire russe et un membre de la garde présidentielle montent la garde pendant que Faustin-Archange Touadera vote à Bangui, en République centrafricaine, lors des élections présidentielle et législatives, le 27 décembre 2020. ALEXIS HUGUET / AFP

Mais au-delà, Paris y voit l’ombre des Russes. «Leur présence est de plus en plus affirmée. Ils jouent un rôle dans cette campagne, c’est évident», indique une source militaire. La France n’est pas complètement innocente en la matière: en décembre 2020, Facebook avait annoncé avoir démantelé trois réseaux de faux comptes utilisés à des fins de propagande au Mali et en Centrafrique: deux étaient russes, le troisième était français.

L’emprise russe sur une partie des médias centrafricains mais aussi sur le président Touadéra est telle que Macron l’a décrite, dans une interview publiée le 30mai par Le Journal du dimanche, comme l’«otage du groupe Wagner», une société de mercenaires dirigée par Evgueni Prigojine, un proche de Vladimir Poutine, qui compte plusieurs centaines d’hommes en RCA. Pour lui, le discours antifrançais «a permis de légitimer une présence de mercenaires prédateurs russes au sommet de l’État».

Plusieurs rapports et enquêtes ont documenté cette prédation, ainsi que de nombreuses exactions commises par ces mercenaires. Le 31mars, un groupe d’experts de l’ONU travaillant sur le mercenariat

leur a imputé «de graves violations des droits de l’homme et du droit humanitaire international».

Ce que Macron ne dit pas, c’est que Paris a sa part de responsabilité dans cette situation. Depuis la chute de François Bozizé en mars 2013, la France a eu cinq ambassadeurs différents à Bangui. Touadéra en a lui- même connu quatre depuis sa première élection, en 2016. Ce turnover inhabituel a certainement été en partie responsable d’une perte d’analyse française et de la dégradation du dialogue avec Bangui.

Après son élection, Faustin-Archange Touadéra s’est naturellement tourné vers François Hollande, puis vers Emmanuel Macron, notamment pour équiper et former les forces armées centrafricaines (FACA). Mais le pays était alors sous embargo. La France a donc décliné cet appel et suggéré au président centrafricain de se tourner… vers Moscou. Fin 2017, Paris propose de plaider la cause de Bangui au Conseil de sécurité de l’ONU, et imagine un curieux deal: transférer à Bangui un stock de 2000kalachnikovs saisies au large du golfe d’Aden. La Russie met son veto et propose une autre solution en décembre 2017, lors d’une nouvelle réunion du Conseil de sécurité: la livraison d’armes accompagnée d’instructeurs civils et militaires. La France ne s’y oppose pas.

Paris met du temps à réagir, préférant d’abord minimiser l’influence de Moscou. Un an après l’arrivée des «instructeurs» russes avec armes, bagages, permis miniers et service de propagande antifrançaise, Le Drian annonce finalement, en novembre 2018, une aide de 24millions d’euros et la livraison de 1400fusils d’assaut. Mais il est trop tard.

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